Premier chapitre et début du second chapitre de mon roman Mes hiers assassinés
Premier chapitre et début du second chapitre
de mon roman
Mes hiers assassinés
Je
vous propose de lire le premier chapitre et le début du second
chapitre, afin de vous faire une idée sur mon roman. Lire le début du
second chapitre après avoir lu le premier permet de se faire une idée
sur l'intrigue principale du roman.
Ce roman peut ressembler par certains aspects à une œuvre Art et Essai,
c'est un peu un mélange de "L'écume des jours" de Boris Vian et du
"Horla" de Maupassant. Je dis ça pour situer un peu mon roman, sans en
venir à m'octroyer le talent de ces auteurs..
Alexandre Rabor
Mes hiers assassinés
Roman
Si vous préférez lire le début du roman en pdf,
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And
all our yesterdays have lighted fools
The way to dusty
death. Out, out, brief candle !
Life’s but a
walking shadow, a poor player
That
struts and frets his hour upon the stage
And
then is heard no more.
William
Shakespeare
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Pour le Canada
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Chapitre Un
Le
jour se lève.
Aujourd'hui,
il fait beau. Je suis sur la colline, je regarde l'horizon.
C'est
beau, quand il fait beau.
Victor
Hugo disait de l'horizon qu'il soulignait l'infini.
Je
l'ai lu à la bibliothèque.
J'aurais
aimé aller plus longtemps à l'école, mais ce n'était pas
possible.
«
Eric, dépêche-toi, on t'attend », c'est le contremaître qui
m'appelle.
En
cette saison, on part tous les matins vers le champ de fraises. Il
faut du lundi au samedi se baisser, se courber et ramasser ces fruits
qui jouxtent la fermette. Il y a peu, j'eus été amené à appeler
ces dernières : baies ; mais c'est en feuilletant je ne sais plus
quelle revue, que depuis, j'ai appris que botaniquement ces dernières
n'en sont pas. C'est pour cela que je les qualifie selon leur vocable
herboriste : fruits.
Plus
tard dans l'année, ce sera les cerises, puis les légumes colorés.
Enfin, à la toute fin de l'été et au début de l'automne, il
faudra ramasser les raisins et les pommes.
Moi
et les autres, on travaille l'été à la ferme. L'hiver, on
travaille à l'usine.
Je
préfère l'été.
«
Eric, dépêche-toi », c'est encore le contremaître qui m'appelle.
Il
me faut rejoindre les autres sans plus attendre.
On
est une dizaine. Il va falloir remonter les allées en s'agenouillant
tous les mètres, pour ramasser une à une toutes les fraises avec
leurs pédoncules.
Pour
moi, c'est plus difficile. On dit que je suis infirme parce que je
boite. Ça ne m’empêche pas de me baisser, même si je le fais
plus lentement et que ça m'est plus difficile pour moi que ça ne
l'est pour les autres. En plus, ça me fait mal.
Ce
matin, j’avance dans les rangées avec Marie-Paule à ma gauche et
Paul à ma droite.
Les
deux sont plus vieux que moi. C'est leur seul point commun. En effet,
autant l'une est grande que l'autre est petit, autant l'un parle que
l'autre se terre dans un mutisme inextinguible.
Les
questions, les réponses, fusent toutes en même temps.
«
Tu as vu le match hier soir ?
—
Il ne fait pas chaud ce matin, tu n'as pas froid ?
—
Est-ce que tu n'as pas une cigarette ? Ah ! Mais c'est vrai, tu ne
fumes pas. Tu ne fumes pas, c'est bien ça ? »
La
célérité, avec laquelle les questions apparaissent, est telle que
sans attendre les réponses d'autres interpellations arrivent déjà.
Avec
ces discussions déséquilibrées, le temps passe plus vite, même
s'il n'est encore que neuf heures du matin.
Dans
une heure, on fera une pause, une césure dans le labeur quotidien.
Dans
le ciel, quelques nuages commencent à arriver.
L'avancée
dans les rangées se fait plus difficile au fur et à mesure du temps
qui s'écoule en cette matinée et de la fatigue qui commence à
s'accumuler.
«
On s’arrête cinq minutes », dit le contremaître d'une voix
forte.
On
attendait tous ça.
Autour de moi, il y a des champs, des coteaux, une grande cabane en pierres, une maison décharnée, oubliée avec les années. Le temps s'est écoulé, des bourgeons se sont formés, des feuilles sont tombées, des mariages, des naissances se sont succédaient, des enterrements ont entrelacé ces instants.
On se regarde.
A dix-neuves heures précises, nous partons à pied pour le château pour prendre le repas du soir, le souper.
Les autres ont déjà pris place.
Vie, tu peut être joyeuse, enjouée, mais aussi être dure, âpre, sombre, noire.
Nous disposons de petites chambres, qui ont à la fois des décorations et des tailles semblables. La mienne est la plus excentrée de toutes celles de l'annexe.
A jamais.
Lors
de ce répit matinal, certains en profitent pour fumer, d'autres pour
parler, moi j'aime bien contempler la nature ; surtout quand il fait
beau et que la vue est belle.
Je
m'assois à l'ombre d'un vieil arbre. Il ne fait pas encore ce matin
très chaud. Quand l'été, l’atmosphère est brûlante et que je
m'assois contre ce dernier, je profite encore plus pleinement de ce
moment, à l'ombre de ce monument de la nature, quand il y a de l'air
et que là, dessous, il y fait plus que bon.
De
là où on est, on peut voir les champs, la ferme, le château, et
même plus loin le village et l'usine à l'entrée de ce dernier.
Moi,
je dors dans les annexes de la ferme, d'autres ouvriers dorment dans
les annexes du château, avec les domestiques.
J'aime
être dehors dans la nature. La nature, j'aime l'observer, regarder
le passage des saisons se trahir dans les couleurs des robes des
arbres et des bosquets. J'aime bien l'orange de l'automne et aussi le
vert clair du printemps.
Le
printemps, tous les printemps, je ne sais pas pourquoi, je repense au
printemps des quatre saisons de Vivaldi,
à ce disque que j'écoutais quand j'étais petit, un de seuls que
j'avais, à cette symphonie qui réveille nos émotions avec les
pollens colorés semés par les violons imaginaires de ces mois
d'avril, de mai et même de juin, avant que le vent mauvais n'en
vienne à les emporter.
Merci,
vieux maître Vénitien, d'avoir su retranscrire en partitions
ondulées la sage ivresse visuelle de ces temps passagers, réaffirmés
chaque année, à la belle saison.
Je
pense qu'on préfère tous être dehors que dans l'atelier.
Des
fois, deux ou trois fois par an, je vois des écureuils, qui sautent
d'arbres en arbres, de branches en branches. Cinq fois, je vous
l'assure, j'ai même vu un groupe de sangliers.
«
Allez, la pause est finie, on reprend », dit le contremaître en se
levant.
Tout
le monde se relève et souffle à l'idée d'avoir à arpenter
maintenant la partie la plus abrupte et agreste de toutes les
parcelles du domaine.
Les
gestes sont toujours aussi rapides, mais aussi subrepticement, si on
chausse les lunettes de l'agronome plus lents.
Je
regarde ma montre, pour y lire l'heure. C'est une vielle montre qui
appartenait à mon père.
A
midi, tout le monde s’arrête, c'est la pause-déjeuner.
La
pause-déjeuner, c'est quasi-sacré.
Culinairement,
quasi-sacré.
Comme
presque tout le monde habite soit dans les annexes de la ferme, soit
dans les annexes du château, le personnel est nourri, logé et
blanchi.
Le
midi, Augustine, la cuisinière et aussi femme de ménage, apporte
sur les parcelles les mets les moins relevés, mais néanmoins et
c'est ce que nous voulons tous les plus roboratifs.
Nous
ne restons manger sur place que dans de rares cas, surtout quand il
faut perdre le minimum de temps, à cause des aléas climatiques.
On
nous apporte au
mieux, des casse-croûtes fades, mais cependant je le redis
roboratifs.
Cibi
condimentum est fames.
La
faim est l'épice de tout plat.
Aujourd'hui,
deux longues tranches de pain tendre, entourant un morceau de rôti,
accompagnés d'une poire, composent le repas de ce mardi.
A
la fois contente d'avoir servi tout le monde et d'avoir réussi avec
peu de moyens à nourrir tous ces travailleurs, prolétaires de ces
terres, Augustine, la cuisinière aux cheveux rubigineux nous dit
presque en hurlant :
«
Bon appétit. »
Je
mange avec appétence, les autres visiblement, aussi.
Comme
à chaque collation, certains finissent leurs repas en cinq minutes,
alors que d'autres n'ont presque pas encore commencé leurs premières
bouchées.
A
midi et demi, tout le monde doit avoir fini de déjeuner.
En
mangeant, des bouts de rôtis en viennent à s’immiscer dans
l'interstice entre deux dents, deux molaires. Sur le moment, ça me
fait mal. Je récupérerai plus tard, un bout d'herbe rigide. Je le
poserai contre ma gencive et je le ferai glisser entre deux dents. Je
viendrai comme ça, mécaniquement, à m'absoudre de ce mal.
Les
uns parlent.
Les
autres déclinent des blagues grivoises.
Je
continue à manger, les autres aussi.
D'un
coup, Paul nous questionne :
«
Comment on appelle ceux qui ne mangent pas de foie gras ?
Quelqu'un
répond :
—
Des végétariens.
Paul
dit :
—
Non, des pauvres. »
Certains
rigolent.
Quelqu'un
rajoute : « des comme nous. »
J'attaque
le fruit. J'aime bien les poires. C'est pour moi, un dessert au goût
presque subtil. En fait, j’en viens à penser que plus les mets
sont simples, plus émane d'eux une réalité gustative intrinsèque.
Les
quelques nuages, qui étaient apparus ce matin, ont laissé la place
à un soleil, qui du haut de son pinacle, irradie un ciel bleu
immaculé.
On
est encore qu'en mai, mais il commence à faire chaud.
Nous
recommençons à travailler.
L'après-midi,
c'est comme le matin, la pause-déjeuner sépare la demi-journée en
deux parties à peu près égales.
Au
loin, nous voyons s'éloigner au volant de sa voiture de sport,
Antoine Lambert, le maître de ces lieux.
Comme
ce matin, je suis entouré de Marie-Paule et de Paul, sauf que cet
après-midi Paul est à ma gauche et Marie-Paule à ma droite.
Le
débit de paroles de Paul est un peu moins rapide que ce matin. Cela
est certainement du à la fatigue.
Nous
faisons comme tous les après-midi une pause.
Je
me rassois, comme ce matin, sous le vieil arbre.
Il
fait bon. La lumière qui m'arrive est tamisée par mon vénérable
et séculaire compagnon. Merci mon ami. Spectateurs, sectateurs
de cet environnement, nous profitons, unis, de la magnificence de la
nature.
Assis
là, au milieu des champs, au milieu de nulle part, loin de tout, au
bout du monde, au centre de mon univers, et quand le brouillard
s'invite dans la luminosité, je me récite ces quelques mots
pré-Abyssins :
«
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert. »
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert. »
Je
suis très heureux au milieu de ce biotope, de ces couleurs
champêtres, de ces odeurs, de ces vents, de cette nature que plus
que tout j'adule, oboles suprêmes, toujours au moins jusqu'à ce
jour, présentes.
En
cultivant mon verger intérieur, je suis peut-être plus qu'heureux.
«
Allez, on reprend », dit le contremaître.
Délaissant
ces sublimes gourmandises immatérielles, naturelles, presque
épicuriennes, je me lève.
Le
travail reprend.
En
me tournant, je vois que Paul a l'air fatigué. Je lui demande:
«
Ça va, Paul ?
—
Oui, il marque une pause et il rajoute : je suis un peu fatigué. »
Je
vois qu’apparemment tout le monde est exténué.
On
ne parle quasiment plus.
On
est fatigué.
Le
temps s'écoule, lentement, mais s'écoule.
Il
est déjà dix-sept heures et on arrive au bout de la parcelle.
Demain, on pourra passer à la suivante.
Je
ne sais pas au juste combien il y a de parcelles.
Depuis
plusieurs générations, les Lambert propriétaires du château, de
la ferme et des usines, ont acheté les terres voisines, puis les
domaines voisins de ces dernières ; si bien qu'au fil du temps, les
ares sont devenus des hectares et les hectares des terres au nombre
indénombrable et à la dimension inexhaustible.
Nous
travaillons.
J'ai,
je ne sais pourquoi, l'impression de m’immiscer
irrévérencieusement, discrètement, dans une œuvre rurale mettant
en valeur les travailleurs de la terre, une métaphore, une allégorie
du travail champêtre. Il fait chaud, je me sens bien, fatigué, mais
bien.
Je
suis parmi les miens.
Nous
sommes sur un terrain, loin de nos logis de peu.
Je
regarde les collines.
Autour de moi, il y a des champs, des coteaux, une grande cabane en pierres, une maison décharnée, oubliée avec les années. Le temps s'est écoulé, des bourgeons se sont formés, des feuilles sont tombées, des mariages, des naissances se sont succédaient, des enterrements ont entrelacé ces instants.
Que
reste-il de ces temps ?
Des
ruines, des bouts de pierre.
Des
parpaings quasi-oxydés, saumurés, cuivrés par le temps.
Des
restes de volets décharnés, écaillés, aux squames putréfiés par
les clapotements immuables de nos printemps et automnes pluvieux.
La
vie naît, se fait, réapparaît au fil des temps, des mois, des
saisons.
Au
final, que subsiste-il ?
Je
ne vois que des murs, des pierres verdies par la mousse.
Pourtant,
pierres, en cette année 1988, vos vies ne sont pas perdues, vos âmes
n'ont pas disparu, nous continuons à en écrire les chapitres, même
si aujourd'hui, nous n'en sommes que très peu conscients.
L’après-midi,
peu à peu, et comme toujours, en vient progressivement à
s'évaporer.
Les
couleurs du chaud soleil déclinant embaument cette fin de journée.
En
ce quasi-début de soirée, nous rentrons dans nos annexes,
pied-à-terre éphémères, avant d'aller dîner au réfectoire,
jouxtant le château.
Chaque
ouvrier occupe une minuscule chambre, souvent mal éclairée, au
mobilier épuré. Les toilettes et les salles de bains sont communes
et sont sur le palier.
Le
contremaître
ne
mange pas avec nous le soir, car il habite une maison dans le
village. C'est la première maison, après la place principale, celle
qui a des géraniums aux fenêtres et un majestueux lilas des Indes,
dont les fleurs nous proposent un superbe rose l'été, à coté de
la porte d'entrée.
Je
monte dans ma chambre afin d'un peu me reposer, avant de descendre
souper.
J'entends
quelques bruits, comme si quelqu'un en était venu, ce soir, à faire
quelques travaux.
Ces
bruits subsistent.
Ces
derniers semblent proches.
Je
regarde autour de moi, comme si je pouvais voir quelques labeurs, au
delà des murs, au delà des cloisons.
Évidement,
je ne vois rien.
Je
me lève pour descendre manger. Et c'est là, que je vois le pourquoi
de ces bruits. Un oiseau, un tétrapode ailé, au plumage
métalliquement très sombre.
Un
corbeau.
Il
semble avoir l’appétence de s’apprêter à refaire les joints
siliconés de la fenêtre.
On se regarde.
Je
le mire avec étonnement.
Le
feu qui irradie ces pupilles m'interpelle.
Il
s'envole.
Je
m'étonne.
J’oublie.
A dix-neuves heures précises, nous partons à pied pour le château pour prendre le repas du soir, le souper.
Nous
marchons peu, car c'est à coté.
Les autres ont déjà pris place.
Je
m'assois. Comme tous les soirs, je suis à coté de Paul. Il parle.
Il rigole. On ne s’ennuie pas.
On
mange.
Des
fois, le soir, souvent l'été, un de nos collègues amène un
magnétophone.
Nous
nous trémoussons ce soir, pas tous, au rythme des symphonies
tziganes.
Nous
imaginons au milieu de la salle, danser une svelte, vaporeuse,
lumineuse bohémienne suivant en rythme ces mélodies andalouses.
Nous
ne sommes plus prisonniers de notre prolétariat, nous nous
déhanchons. Un temps, virtuellement, nous sommes quelque part dans
les grottes, sur les hauteurs de la très blanche Grenade, à l’ombre
de la très enneigée Sierra Nevada.
Je
danse, nous dansons, imaginairement, face aux deux vieux palmiers qui
ornent le bassin central, rectangulaire, du palais Andalou,
l’Alhambra, que je ne connais que d'une photo, dans un
dictionnaire. Il y est mentionné sous le nom de jardins du Partal,
en petit, en bas, sur la droite de cette dernière.
La
soirée se passe.
Je
sors un peu. Il fait bon dehors. Il y a de l'air.
La
lune s'éveille, la nuit se fait jour.
Au
fil des minutes qui passent, la musique en vient à se tarir, pour
s’arrêter d'un coup, quand celui avait amené l’électrophone en
vient à éteindre ce dernier et à le débrancher.
Après
ces lourdes collations et ces vives symphonies, nous nous aérons
dans la cour du château. L'attiédissement, du à la saison, permet
ces sorties en ces derniers moments qui précédent la nuit, une
pause dehors, à la douce et faible lueur des étoiles.
Certains
discutent, d'autres fument, d'autres rentrent dans leurs chambres.
Seul
Paul, nous quitte.
Il
part quasiment tous les soirs au village. Il va au seul café qui
reste ouvert tard : « Le verre écarlate ».
Y
boit-il tous les soirs ?
S'oublit-il
régulièrement avec les quelques marchandes d'amour de la région ?
Un
soir tard, ou plutôt un matin, il n'est pas revenu.
A
plusieurs, on l'a cherché.
On
l'a trouvé dans un champ, il venait à peine d'expurger son
éthylisme de la veille, censé soulager sa dipsomanie latente.
D'où
venait son mal-être ?
Il
parle beaucoup, mais pas de l'essentiel.
Certains
apprirent que sa femme l'avait quitté, il y a deux ans. Elle était
partie avec son fils.
Depuis,
il continue à vivre.
Il
essaye.
Il
pense que l'alcool l'aide ou anesthésie des blessures encore non
refermées.
Ces
sombres effluves l'aident à estomper la dureté de la vie.
Vie, tu peut être joyeuse, enjouée, mais aussi être dure, âpre, sombre, noire.
Ce
soir, je parle un peu avec Augustine, la femme de ménage.
Elle
a un comportement antinomiquement opposé à celui de Paul, un peu
comme celui de Marie-Paule.
Elle
parle peu, mais de l'essentiel. Peut être n'a-t-elle pas un lourd
passé à cacher ou même un passé tout court.
Je
rentre dans l'annexe.
Je
regarde la télévision dans la salle commune.
Je
sors un peu, pour regarder les étoiles.
Contempler
les constellations est à moi ce qu'était la madeleine au narrateur
de Proust.
Cela
réveille la présence des êtres et des choses qui ont disparu.
Les
sentiments, eux, sont restés.
«
Tu vois là c'est Cassiopée, me disait mon père en me montrant du
doigt cette dernière, elle forme un W. »
Ma
mère était à coté, et on l'écoutait.
«
A coté de Cassiopée, il y a Céphée et Andromède. Dans la
mythologie grecque, cette reine était femme et fille de ces
derniers. Andromède a beaucoup inspiré les artistes, écrivains ou
peintres. Selon la légende hellène, persécutée à cause de sa
beauté, elle a été attachée, nue, à un rocher. Persée l'a
sauvée et ils ont donné naissance à la dynastie des Perséides. En
astronomie, les Perséides, ce sont les étoiles filantes que tu vois
en été. »
Nous
écoutions.
Ce
soir, Cassiopée, Céphée, Andromède sont toujours là, mes parents
non, et depuis longtemps.
Ce
n'est pas facile la vie sans eux.
Il
commence à se faire tard et à faire froid.
Je
monte me coucher laissant dehors les ombres du passé.
Nous disposons de petites chambres, qui ont à la fois des décorations et des tailles semblables. La mienne est la plus excentrée de toutes celles de l'annexe.
Le
travail physique permet de s'endormir assez rapidement sans utiliser
de somnifères.
Je
pense à cette journée.
Je
pense à mon passé.
Mon
passé.
Mon
passé, passé.
Passé,
à jamais.
A jamais.
Chapitre Deux
Ce
matin, je me réveille, avant que le réveil ne sonne.
C'est
rare.
D'habitude,
c'est lui qui me réveille.
Je
viens de faire un rêve bizarre.
J'ai
rêvé que j'étais un ouvrier du domaine ; domaine appartenant à ma
famille.
Je
suis Diane Lambert.
Quel
rêve bizarre !
Je
me lève.
Quel
rêve vraiment bizarre !
Du
fin fond de la nuit est sorti un songe, une somnolente inconscience,
sortie de je ne sais où.
J'étais
un ouvrier du domaine.
Un
employé de la ferme, de l'atelier.
Quel
rêve bizarre !
Des
rêves, j'en ai fait, on en fait tous, mais ce rêve était
différent, très différent, incroyablement différent.
J'étais,
je fus l'espace d'une nuit, Eric, un salarié de mon père.
J'étais
vraiment lui.
C'était
comme s'il avait pris possession de mon cerveau.
C'est
irrationnel, mais j'ai peur.
Comment
est-il possible de rêver pareille absurdité ?
Dans
deux heures, il faut que je sois dans l’amphithéâtre. Ce matin,
j'ai un cours important de macroéconomie. Après un bac avec mention
très bien, j'ai décidé, ou plutôt mon père a décidé pour moi
que j'allais faire des études de sciences politiques, à Paris.
Le
téléphone sonne.
«
Allô, Diane, c'est Anthony. »
Anthony
est appelé à devenir avocat. Il a donc commencé, depuis deux ans,
des études de droit.
Anthony
est ce qu'on appelle un amoureux, un promis.
Je
n'ai une vue de l'amour que depuis le haut des tréteaux de
l'échafaudage social. Après quelques rallyes au demeurant fort
provinciaux, il m'eut été présenté, Anthony. Nous fîmes quelques
valses. Ces chorégraphies viennoises, d'un soir, scelleront à
jamais notre alliance, ainsi que celle de nos familles.
«
Je ne te réveille pas ? rajoute-t-il.
—
Ça
s'est joué à cinq minutes. En plus, je viens de sortir d'un rêve
biscornu.
Je
lui dit:
—
Je te raconterai plus tard. »
Je
raccroche.
Je
bois un café agrémenté de quelques biscottes. C'est bizarre, mais
ce rêve m'a stressée. C'est la première fois depuis longtemps que
je massacre une biscotte tout en la tartinant de beurre. Il me faut
nettoyer la table, ramasser les miettes, nettoyer le beurre renversé
sur la nappe.
Je
me lave.
Dehors,
il pleut.
J'hésite,
eaux de toilette, parfum ou autres baumes, que choisir ?
J'ai
décidé.
Je
me parfume.
Dehors,
il pleut encore.
Je
me regarde dans le miroir. Je vois que j'ai mauvaise mine, j'ai mal
dormi.
Des
cernes soulignent pour la première fois mon regard. Je vais essayer
avec mon maquillage d’estomper les restes d'une nuit
psychologiquement difficile.
Je
m'habille.
Je
m’apprête, avec le goût de ceux qui l'argent aidant, panachent
qualité, classe et bon goût. C'est ce que je pense, ou plutôt
c'est ce qu’inconsciemment, j'imagine, sans le dire, sans me poser
la question, c'est un acquis tellement inconscient, qu'il n'est nul
besoin d'affirmer ni aux autres, ni même à moi, qu'il est là,
inconsciemment, tellement présent.
Dehors,
il pleut toujours.
Je
me suis levée tôt, mais finalement, je commence à être en retard.
L'idée
de ne pas arriver à l'heure commence à annihiler le stress de cette
nuit et de ce début de matinée. Un problème en vient à en
remplacer un autre, comme toujours.
Je
suis en retard.
Je
vérifie que tout est éteint, du moins tout ce qui doit l'être.
Je
ferme.
«
Bonjour.
—
Qui a dit bonjour ? » je m'interroge. Si en plus de mes divagations
nocturnes, je commence à entendre des voix. Alors, je commence
vraiment à avoir des problèmes.
«
Bonjour. »
Je
tourne la tête. C'est madame Léonard, ma voisine de pallier.
Je
ne suis pas encore sortie, et voilà que elle, déjà elle rentre,
peut-être même ne ressortira-t-elle pas de chez elle de la journée.
A
la vue de son cabas, j'en déduis qu'elle revient du marché, un de
ces petits marchés parisiens, qui donnent aux habitants de la
capitale l'impression d'être un moment à l'abri du stress, et aussi
à l'abri du temps, sur la place principale d'une sous-préfecture au
delà des fleuves, rivières et vallons d’Île-de-France.
«
Bonjour, madame Léonard »,
je dis, espérant esquiver une discussion qui risque de m'attarder.
«
Couvrez-vous, il ne fait pas chaud », elle marmonne, peut-être du
fait du temps de latence, avant ma salutation réciproque.
Je
ne connais pas le passé de Madame Léonard, mais j'en déduis à la
vue de son appartement qu'elle a du avoir une vie relativement
cossue.
Laissant
mes pensées dans l'entrée de l'immeuble, je sors tout en claquant
la porte dans un même mouvement.
Finalement,
je m’astreins à d'abord à marcher vite, puis, au détours d'une
rue, à courir.
Je
descends dans la première station de métro.
Ce
dernier m'ayant maintenant engloutie, je ne suis plus maintenant
dépendante que des horaires de ce dernier, et non plus d'une
volonté, qui a décuplé une course effrénée à travers rues,
places et trottoirs.
Quelques
stations de métro plus loin, j'arrive avec cinq minutes d'avance.
Cinq
minutes d'avance, c'est cinq rangs de gagnés dans l’amphithéâtre.
C'est aussi, peut-être, cinq décibels de conquis. Cinq décibels,
c'est peut-être déterminant pour la bonne compréhension d'un
théorème, d'un concept, du processus d’élaboration d'une loi.
Ces
dernières minutes m'ont donc permis de trouver une place proche de
l'oratoire, peut-être une des plus proches que je n'ai jamais
trouvée, à part bien sûr la place que j'avais déterrée le jour
de la rentrée, quand j'avais eu la bonne idée d'arriver une heure à
l'avance et où j'avais déniché un des premiers sièges, au premier
rang, presque proche de l'emplacement d'un imaginaire trou de
souffleur de théâtre. A l'inverse, une autre fois, finalement, je
due rester assise, à même le sol, au coté de l'une des entrées,
celle qui finalement est la plus usitée du fait de sa proximité
avec l'entrée principale et du moindre effort à fournir en
comparaison avec les deux autres entrées, qui ne se révèlent
qu'après avoir gravi deux grands escaliers, un à gauche et un à
droite.
La
faculté n'est plus si propre, si astiquée, qu'elle ne fut, au
demeurant, un jour, eut-elle été. Des inscriptions, slogans
futiles, jonchent les murs. Je ne m'aventure que peu dans les
toilettes, sommets de ce malaise, méandres sous-terrains, quasiment
immondes, remplis de saletés, d'odeurs et d'humidités nauséabondes.
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Très belle plume. Vivaldi...c'est magique E.LEXIS
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire. Avec ce roman, j'ai essayé de faire quelque chose d'original dans le style et dans l'intrigue.
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